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Sortir de l'implicite - Eric Albert - lesechos.fr

A éviter les dossiers qui fâchent et chercher le consensus au comex, les vrais sujets n'avancent pas. Pourtant, l'efficacité d'une équipe de dirigeants passe par sa capacité à aller au fond des débats et à porter collectivement les décisions.

La réunion avait bien commencé. Le comité exécutif réuni en séminaire passe en revue les grands enjeux stratégiques, s'aligne, précise certains points qui apparaissent comme encore un peu confus à certains, et clarifie les priorités. L'ambiance est bonne, les plaisanteries vont bon train, le consensus se fait facilement sur ce qu'il faut garder et ce qu'il faut éliminer. L'après-midi est consacré aux sujets organisationnels. En quoi l'organisation doit-elle évoluer pour faire face à ces nouveaux enjeux ? Chaque membre du comex a préparé une note envoyée à l'avance aux autres pour expliquer les propositions de reconfiguration de son périmètre. 

L'ambiance change très vite. Il s'avère que peu, autour de la table, ont lu la note des autres. L'un explique qu'il a besoin de plusieurs postes supplémentaires qu'il va falloir trouver chez les autres. Un autre que le rattachement hiérarchique de certains profils doit passer sous son contrôle. Un troisième que des compétences identiques existent en plusieurs endroits et qu'il serait plus pertinent de toutes les regrouper dans sa propre entité. A chaque fois qu'une demande est formulée, ceux qui la reçoivent font comme s'ils n'étaient pas concernés ou expliquent qu'ils ne peuvent rien changer chez eux. A ce rythme, le débat tourne vite court. A chaque besoin, est renvoyée une fin de non-recevoir, certes polie, mais ferme. Aucune décision n'est prise, si ce n'est celle de continuer comme avant. Et chacun sort de la réunion, soit frustré de n'avoir pas été entendu, soit soulagé de ne pas avoir été obligé à faire des concessions.

Et après ?

Une telle situation est banale. On préfère préserver les uns et les autres plutôt que d'aller au fond des sujets. On ne donne pas les vraies raisons de ses positions. Personne ne dit vraiment ce qu'il pense. Pourtant lorsqu'on interroge les acteurs individuellement, les langues se délient. Celui qui demande des postes supplémentaires ferait mieux de gérer différemment ses équipes ; le regroupement des compétences proposé n'a pas de sens et elles sont très bien réparties telles qu'elles le sont actuellement.  Désaccord de fond ou critiques, rien n'est dit. Il est probable que la prochaine fois, on n'abordera même plus ce genre de sujets, qui créent potentiellement des désaccords, pour ne parler que de ceux sur lesquels il y a un consensus.

Mais derrière cette harmonie de façade des dirigeants, les vrais sujets n'avancent pas et les équipes se confrontent. L'efficacité d'une équipe de dirigeants passe par leur capacité à se dire les choses, à aller au fond des débats et à porter collectivement les décisions. Et c'est parce que ces débats existent que chacun peut défendre une position commune auprès de ses équipes, quelle que soit son opinion de départ.