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La générosité paie - Eric Albert - Les Echos / lesechos.fr

Le mécénat de compétences est aussi utile à ceux qui le pratiquent, et à l'entreprise qui les emploie, qu'à ceux à qui il est destiné.

S'il est une générosité qui se fait de plus en plus rare dans les entreprises, c'est celle du temps. On attribue parfois de l'argent à des fondations, on offre volontiers des conseils ou des avis, on aimerait donner plus souvent des ordres, mais le temps est préservé avec parcimonie. On y veille comme Harpagon sur sa cassette. Chacun a intégré qu'il doit l'optimiser, c'est-à-dire rendre chaque moment utile. Utile pour quoi ? Pour qui ? « Pour l'entreprise ! » répondra le dirigeant. Autrement dit, à l'image des « time sheet » des consultants, chacun devrait être capable de démontrer comment il utilise chaque minute de façon productive. On connaît les conséquences de cette approche : aucun moment consacré à l'informel et à la convivialité, aucun moment d'ouverture exploratoire, ces espaces qui permettent d'être sorti de la routine et remis en cause par des points de vue contraires.

 

La gratuité dans un contexte professionnel

Le mécénat de compétences est une forme de réponse à cette dérive. D'abord, parce qu'il autorise à donner de ce temps si précieux. C'est une forme de générosité. Mais pas seulement.

 

Comme la charité bien ordonnée, la générosité commence par soi-même. Le mécénat de compétences est aussi utile à ceux qui le pratiquent, et à l'entreprise qui les emploie, qu'à ceux à qui il est destiné. En étant plongé dans un autre environnement, en ayant à transmettre son savoir-faire à des personnes différentes de celles que l'on côtoie tous les jours, en ayant à faire un effort d'adaptation, on progresse, on s'ouvre, on apprend. Mis dans un contexte entièrement nouveau, on s'enrichit d'une meilleure compréhension de son environnement.

 

Dans une mode de l'hyperspécialisation, où les acteurs sont toujours plus poussés à creuser leur expertise, l'enfermement guette, et le mécénat de compétences peut constituer une bouffée d'oxygène. Mais aussi un levier pour progresser sur le plan relationnel. Alors que dans le quotidien professionnel, le jeu entre les acteurs est codifié et normé, le questionnement et le challenge sont là plus accessibles.

Reste la question de la gratuité. La réflexion peut sembler paradoxale lorsque l'on parle de générosité, pour beaucoup gratuite par essence. Dans un contexte professionnel, la gratuité pourrait conduire à une moindre exigence tant de la part de celui qui donne que de celui qui reçoit. Ce qui est gratuit perd de sa valeur aux yeux de certains et peut réduire d'autant les efforts. Mais c'est parce que la situation est nouvelle que la mise en œuvre doit être d'une rigueur sans faille.

 

Le mécénat de compétences à cette particularité d'être une situation où celui qui donne reçoit en retour à la hauteur de son investissement. En somme, la générosité paie.