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Quand la peur détruit de la valeur - Eric Albert - lesechos.fr

À chaque fois qu'un dirigeant cède à la facilité d'utiliser la peur comme moyen de pression sur ses équipes, il met son entreprise en danger.

Qu'ont en commun les suicides de France Télécom, le  dieselgate de Volkswagen et la crise du 737 Max de Boeing ? Dans les trois cas, les dirigeants des entreprises concernées avaient mis une forte pression sur leurs équipes pour obtenir des résultats toujours liés à des réductions de coût. Comment les équipes parviennent-elles à ce qui leur est demandé dans de telles circonstances ? 

Les dirigeants considèrent que ce n'est pas de leur ressort. Ce qu'ils veulent, ce sont des résultats. Aux équipes de se débrouiller. Dans les trois exemples, il s'avère que les équipes, ne sachant pas comment procéder, ont mal fait les choses et mis en danger les individus de l'organisation, de façon directe ou indirecte. Comme on triche, on fait ce qui n'est pas avouable ; tout est mis sous le sceau du secret. Et lorsque les affaires éclatent, les langues se délient. Ceux qui ont agi sous l'effet de la peur sont comme libérés de pouvoir dire tout haut ce qu'ils ont sur le coeur, tel ce salarié de Boeing : « je n'ai toujours pas été pardonné par Dieu pour ce que j'ai dissimulé l'an dernier », s'est-il épanché.

Indicateur de peur interne

Ces affaires montrent l'étendue du pouvoir des dirigeants sur leurs équipes. Ils parviennent à leur faire commettre ce qu'ils savent contraire aux règles et à leur faire garder le secret. Elles questionnent ensuite sur l'usage de la pression. Nous constatons tous qu'une certaine pression peut contribuer à la performance. L'échéance, l'enjeu, l'envie de réussir poussent à la mobilisation, parfois au dépassement, et à réaliser ce qui pouvait sembler impossible au départ.

Une dose d'anxiété comme le trac est utile pour mettre l'individu en alerte et lui permettre de donner le meilleur de lui-même. La limite est clairement dépassée lorsqu'il ne s'agit plus d'une angoisse mineure mais d'une peur paralysante. Dès lors, les acteurs deviennent irrationnels et font tout – y compris ce qui est hors des règles – pour se sortir de la situation et se sauvegarder personnellement, au moins à court terme.

Les dirigeants doivent absolument résister à la facilité d'utiliser la peur comme moyen de pression sur leurs équipes. À chaque fois qu'ils y cèdent, ils mettent leur entreprise en danger. Le péril vient d'une dynamique systémique : la pression induit le silence des acteurs de terrain, silence qui encourage les dirigeants à accentuer encore leur pression. Toutes les entreprises devraient disposer d'un indicateur de peur interne que les conseils d'administration devraient suivre de très près pour évaluer les CEO. Notons que, dans les trois cas, la réduction des coûts s'est transformée en coûts supplémentaires considérables. La peur est l'une des principales ennemies de la performance durable.