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Plus le pouvoir est solitaire, plus l'entreprise est fragile – Eric Albert - lesechos.fr

De l'usage du pouvoir dépend l'efficacité d'une organisation. Plus il est solitaire et sans contre-pouvoirs, plus elle a de risque d'être fragile, car dépendante d'un individu.

Il arrive que la transmission du pouvoir se déroule sans difficulté. Citons St Gobain, Bouygues ou L'Oréal. Mais on voit aussi beaucoup d'entreprises, où le patron en place fait tout pour garder la maîtrise de la situation et préserver son pouvoir. Danone est le dernier exemple connu, mais gageons que des jeux similaires se jouent ailleurs à l'abri des regards. De son côté, Reed Hastings, le patron de Netflix, dit dans les interviews, à l'occasion de la sortie de son livre «No Rules Rules» («La règle ? pas de règles» publié, en France, par Buchet/Castel), qu'un boss est là pour suggérer et pas pour imposer. Il donne des exemples où, en imposant, il s'est trompé. Ce à quoi, rétorqueront les dirigeants autoritaires, rien n'est pire que les entreprises, où les décisions ne se prennent pas et où la recherche d'un consensus mou paralyse tout.

Pouvoir solitaire sans contre-pouvoirs

Le pouvoir et son usage sont au coeur de l'efficacité des entreprises. Plus le pouvoir est solitaire et sans contre-pouvoirs, plus l'entreprise est fragile car dépendante d'un individu. Rappelons-nous l'état de l'Alliance lorsque, brutalement, Carlos Ghosn ne peut en assurer le leadership. Conflits, absence de ligne directrice claire, fuite des talents, du jour au lendemain, le premier constructeur automobile mondial donne l'impression d'être un champ de ruines. D'ailleurs, les patrons qui ont besoin de cette toute puissance révèlent soit une fragilité personnelle soit une forte immaturité de leur organisation. Ce qui ne signifie pas qu'ils ne réussissent pas. D'ailleurs, l'histoire glorifie souvent plus la prétendue réussite d'un patron solitaire que celle d'une équipe.

Le rapport au pouvoir d'un patron devrait être évalué par son conseil d'administration. D'abord pour vérifier que dans son exercice opérationnel, il a mis en place de vrais contre-pouvoirs. Qui lui résiste ? Qui peut lui dire qu'il est en désaccord et que l'orientation prise n'est pas la bonne ? Qui challenge vraiment ses choix sur les nominations ? Pour autant, le boss reste décisionnaire mais cela limite sa toute-puissance.

Réguler le pouvoir du CEO

Ensuite, le conseil doit s'assurer que le patron fait mûrir son organisation dans l'objectif de partager le pouvoir. Cette maturité repose sur la capacité des acteurs à prendre eux-mêmes les décisions, comme le décrit Reed Hastings. La peur n'est plus de déplaire à son chef, mais que celui-ci juge que son collaborateur ne prend pas suffisamment ses responsabilités et donc les décisions par lui-même. Ce partage du pouvoir est la meilleure garantie de l'agilité d'une organisation.

Enfin, le conseil doit contrôler que l'émergence de ceux qui prendront la relève se fait dans la préoccupation de faire monter les meilleurs, et pas dans celle de « convenir » à celui qui est en place. Trop souvent, le successeur répond d'abord aux critères qui arrangent le prédécesseur dans le partage du pouvoir, de la dissociation des rôles de président et directeur général. Réguler le pouvoir du CEO est une responsabilité des conseils d'administration qui n'est souvent pas suffisamment assumée.