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Le dirigeant autoporteur - Eric Albert - lesechos.fr

A force de pousser les collaborateurs à se montrer conformes et à s'imiter les uns les autres, les organisations se privent d'acteurs capables de réflexion propre. Et de talents qui pourraient être les dirigeants de demain.

Les entreprises recueillent ce qu'elles sèment. La plupart veillent scrupuleusement à mettre leurs collaborateurs dans des cadres contraints. Certains diraient des cases. Chacun dispose ainsi d'une description précise de son job, se voit fixer des objectifs revus régulièrement, et est amené à respecter des valeurs et un code de conduite. Chacun intègre aussi ce qu'il peut ou ne pas faire. Gare à celui qui ne se conforme pas au code implicite, cela pourrait lui être reproché. Pis, cela  pourrait le conduire à se voir exclu . 

Chacun comprend donc qu'avant tout, il lui faut entrer dans le moule. Et chacun intériorise ce cadre, c'est-à-dire une somme de règles plus ou moins claires, mais considérées comme devant être respectées. 

En pratique, ce carcan implicite conduit les acteurs à se montrer conformes, à s'imiter les uns les autres et à prendre peu d'initiatives susceptibles de les mettre en risque. Ce constat désole les dirigeants qui veulent des entrepreneurs. D'où tout ce discours largement diffusé autour  des intrapreneurs . Personne n'a vraiment compris de quoi il s'agissait mais la communication tourne sur ce thème. 

Au-delà du cadre posé

Ce système qui conduit à la conformité ne fait pas émerger les dirigeants de talent de demain. C'est-à-dire ceux qui, justement, feront sortir l'entreprise de ses routines et la poussera à changer et à se renouveler. Il ne s'agit pas d'intrapreneurs mais d'individus qui montrent très tôt qu'ils ne se laissent pas enfermer dans le cadre confortable de la conformité pour penser et agir par eux-mêmes. Ils ne se limitent pas à ce qu'on leur demande mais vont au-delà et parfois à côté. Ils ne reprennent pas le cadre posé par leur prédécesseur mais « réinventent » leur job et en poussent les limites. Autrement dit, ils ne se laissent pas porter par l'organisation mais y tracent leur propre chemin, quitte à la bousculer. Plus que des intrapreneurs, ce sont des individus qui montrent une capacité à s'auto-porter. 

Cette dimension est essentielle dans la sélection des futurs dirigeants. Souvent, ils sont choisis non pas parce qu'ils bousculent mais parce qu'ils s'inscrivent dans la reproduction de leurs aînés, car c'est comme cela qu'ils leur plaisent. Plutôt que l'injonction vaine à l'entrepreneurship, les dirigeants devraient pousser les acteurs à prendre une distance et une capacité de réflexion propre par rapport à l'organisation dans laquelle ils évoluent. Cette dimension autoporteuse est différenciante.