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Force de résistance - Eric Albert - Les Echos

La scène se passe avec l’un de ces jeunes créateurs de startup français si talentueux. « Nous avons des solutions pour les grandes entreprises, mais, souvent, nous nous confrontons à des équipes internes qui refusent ou font échouer le projet. »

Et de décrire, en se désolant, tous les freins mis par les différentes entités qui craignent de voir leur domaine perturbé, ou qui, simplement par rivalité entre elles, s’opposent pour contrer une initiative qui ne vient pas d’elles. Au-delà de son souhait de faire prospérer son entreprise, mon interlocuteur était affligé de voir nos grandes entreprises se précipiter vers leur déclin. Et pourtant, le discours de l’innovation est omniprésent. Il est souvent porté par les dirigeants eux-mêmes qui le mettent en haut des priorités affichées. Pour autant, les acteurs qui résistent en trouvant toutes les raisons de ne pas faire arrivent à bloquer le système.

Surtout lorsque l’innovation vient de l’extérieur. Le paradoxe est que l’entreprise est la plupart du temps dans le déni sur le sujet. Chacun, à commencer par le boss, énumère tout ce qui a changé et pointe des innovations. Bien souvent, il met en avant avec fierté des partenariats réussis avec des start-up. La plupart de ces innovations apportent des progrès, mais ne font pas faire à l’entreprise un vrai saut en avant. Périphériques par rapport au cœur de l’activité, elles sont exhibées dans la vitrine innovation de l’entreprise qui, ce faisant, se donne bonne conscience. Les vraies innovations perturbent, secouent, remettent en cause les acteurs, tant dans leurs domaines de compétences que dans leur façon de travailler et leur territoire. Naturellement, face au prestataire extérieur qui apporte l’innovation, les acteurs internes, forts de leur posture de client et de leur connaissance du business, rejettent les propositions. C’est tellement facile de montrer que cela ne peut pas marcher.

ET APRÈS ?

Comment ne pas céder à la facilité de mettre l’innovation à la périphérie de l’entreprise et donc de la cantonner à l’accessoire ? C’est tout l’enjeu pour les grands groupes. Cela ne peut passer que par la diffusion d’une culture de l’innovation dans toutes les strates de l’entreprise. Autrement dit, chacun doit comprendre que, s’il n’est pas un acteur proactif de l’innovation, il va à l’encontre des intérêts de l’entreprise. Pour cela, il faut que chacun soit rassuré sur son propre sort, mais aussi sous la pression d’une exigence de se remettre en cause. De même, la pratique de l’essai-erreur doit être mise en place partout. L’implication des dirigeants est indispensable. Pas pour asséner des principes généraux, mais pour suivre, très concrètement, la façon dont les équipes sélectionnent les projets d’innovation, puis les mettent en œuvre. Pousser à l’audace, autoriser le risque, détecter les fausses raisons de ne pas faire, encourager les tentatives difficiles… Dans la plupart des organisations, si les dirigeants ne sont pas « au contact », il ne se passe rien. C’est toujours sur ce qui est le plus difficile à mettre en œuvre que les dirigeants doivent s’impliquer : l’innovation doit être en haut de la pile.