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Etre un symbole, comme Trump - Eric Albert - Les Echos

Trump ose tout. N’en tirons pas de conclusions hâtives empruntées à la verve de Michel Audiard. Il transgresse en permanence. Apparemment sans avoir de limites tant dans l’impolitesse et l’absence de bienséance que dans son amoralité.

Insultes, trahison, mensonges, absence d’engagement, constituent le socle des rapports qu’il établit avec ses interlocuteurs. Comme, par exemple, lorsqu’il signe un accord un jour pour le refuser le lendemain. Le principe est de déstabiliser l’autre et d’instituer des rapports de force. Il est, en somme, l’exact contre-exemple de tout ce que préconisent les manuels et les gourous du management. Et pourtant, cette audace extrême semblait, jusqu’à il y a peu, avoir un effet positif sur sa cote de popularité.

Peut-être même la fait-elle progresser. Outre sa popularité, quels sont les avantages et inconvénients de ce leadership ? En fait, cet usage de la transgression pousse à une course en avant. Il faut changer de pied en permanence pour surprendre et communiquer sans relâche à sa propre gloire. A l’évidence, cette approche très agressive marque quelques succès, notamment dans le rétablissement partiel du déséquilibre massif de la balance commerciale avec la Chine. Toute la question est celle des conséquences à moyen terme de cette stratégie relationnelle. Il est clair que l’effet produit est, au minimum, de la méfiance et, pour ceux qui ont eu le sentiment qu’on leur forçait la main, probablement un souhait de revanche.S’il advenait que le rapport de force s’inverse, même partiellement, le retour de bâton pourrait être douloureux. De plus, ce jeu relationnel isole. Jamais un président n’a vu un tel turnover dans son entourage. Mais le plus grave est probablement dans l’autorisation symbolique, donnée à l’ensemble des citoyens, de se comporter comme leur président. Implicitement, c’est comme s’il leur disait : « Si vous voulez réussir, mentez, trahissez, déjugez-vous ! »

ET APRÈS ?

Etre dirigeant c’est avant tout endosser une dimension symbolique. Le dirigeant est à la fois visible et éloigné des acteurs de terrain. Son style, ses comportements, l’usage de son temps, chacune de ses actions sont ressentis et interprétés. A son insu, cela donne un ton, une façon de faire qui est une sorte de prescription implicite pour les équipes. C’est ainsi que, dans telle entreprise, les collaborateurs sont en retard et reportent les rendez-vous au dernier moment. Ou que, dans telle autre, chacun exprime ses humeurs ou plutôt sa mauvaise humeur. Ailleurs encore, l’agressivité est devenue la norme. Il est probable que l’affaire des moteurs truqués soit une conséquence d’une pression associée à une autorisation implicite. Cette diffusion se fait sans que rien ne soit jamais formulé, cela reste dans le non-dit. La dimension symbolique induit une responsabilité pour le dirigeant qui va bien au-delà des simples résultats de l’entreprise qu’il dirige. Assumer cette responsabilité, c’est d’abord prendre la mesure de son impact indirect et c’est ensuite s’imposer un code de conduite précis qui s’appelle l’exemplarité. Autrement dit, un dirigeant ne peut pas faire sienne la formule « la fin justifie les moyens ». Car il donnerait alors l’autorisation.