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Entre RSE et réalité économique, le grand écart des dirigeants - Eric Albert - lesechos.fr

La consistance du discours d'un dirigeant dans la durée devrait être l'un des paramètres à prendre en compte par le conseil d'administration pour l'évaluer.

Au commencement était le verbe. Depuis toujours, nous savons la puissance de l'expression orale, son impact, sa capacité à soulever les enthousiasmes ou à doucher les espoirs. Les dirigeants, dans leur apprentissage, apprennent très tôt à l'utiliser pour exercer leur leadership. Chacun cultive sa petite musique, qui lui donne un style et une crédibilité. Deux dirigeants du CAC 40 se sont, au cours de ces dernières années, démarqués en prenant des positions très appuyées en faveur de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), de leur raison d'être et du respect des parties prenantes. Parole importante, car elle donnait une vision du capitalisme qui reposait sur autre chose que le pur intérêt de l'actionnaire.

Entreprises à mission

Le premier est Emmanuel Faber qui, avant toutes les autres entreprises, avait décidé que Danone serait une entreprise à mission. Il a multiplié les prises de parole sur la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises, se distinguant ainsi de ses pairs. Il a annoncé, il y a quelques semaines, qu'il souhaitait faire un plan qui vise à dégager 1 milliard d'euros d'économies d'ici à 2023 en supprimant jusqu'à 2 000 emplois dans les sièges mondiaux et locaux. Le PDG de Danone assume que sortir d'un pays en difficulté, comme l'Argentine, lui permet d'améliorer la marge de 0,5%. Rappelons-nous que l'entreprise à mission est celle qui met sur le même plan les différentes parties prenantes de l'entreprise, sans en privilégier une par rapport aux autres. Si ce que faisait Danone en Argentine était utile à ses parties prenantes et qu'on le raye d'un trait de plume pour augmenter ses résultats, comment se dire entreprise à mission ?

Consistance du discours

Le second est Antoine Frérot. Le PDG de Veolia s'est, lui aussi, positionné, à travers de nombreuses prises de parole et tribunes, en héraut d'un capitalisme qui donne à l'humain une vraie place. Il a entrepris une OPA sur Suez, un concurrent, de la façon la plus inamicale, restant sourd à toutes les protestations de l'ensemble du corps social de sa cible, qui est vent debout contre ce rachat. Et, dans le débat sur l'opportunité de cette opération, il utilise des moyens d'intimidation pour le moins troublants contre ceux qui ne prennent pas position dans son sens (Il suffit de lire la lettre de l'économiste Elie Cohen).

Ce décalage entre le discours et les actions concrètes est extrêmement délétère et va bien au-delà des acteurs en question. Il décrédibilise, à l'avance, toute prise de position d'un dirigeant de grande entreprise en faveur d'un capitalisme à visage humain. Pire, il donne des arguments à ceux qui prônent le rejet en bloc du modèle. La consistance du discours d'un dirigeant dans la durée devrait être l'un des paramètres à prendre en compte par le conseil d'administration pour l'évaluer. L'irresponsabilité, même quand elle est symbolique, devra un jour être sanctionnée.