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Comment gâcher ses talents - Eric Albert - lesechos.fr

Gâcher un talent, c'est lui laisser croire qu'il a été sélectionné pour ses résultats et réussira principalement par ses résultats.

Sortie d'une grande école, Léa commence une carrière très prometteuse dans un grand groupe. Après s'être formée au marketing, elle prend une mission de chef de projet sur un sujet transversal. Puis elle va dans une unité opérationnelle. Et depuis maintenant quatre ou cinq ans, elle a l'impression de faire du surplace. Personne ne lui propose rien de très stimulant, si ce n'est des mouvements horizontaux qui la feraient passer d'une BU [business unit, NDLR] à une autre.

Combien sont-ils, arrivés motivés, brillants, pleins d'idées, en somme prometteurs, qui, au bout de quelques années, ont l'impression de végéter, et qui soit s'en vont, soit restent pour de mauvaises raisons ? Les entreprises ont pourtant toujours l'impression de manquer de talents et ont parfaitement intégré que ceux-ci sont très précieux. Ce que personne n'a dit à Léa, c'est la perception qu'elle donne d'être dispersée et de manquer de rigueur. Certes, la remarque sur ses comportements lui a été faite à une occasion ou l'autre, mais personne ne lui a clairement expliqué que cette image d'elle est connue et la bloque pour progresser.

Importance du critère comportemental

La plupart des grands groupes ont mis en place des procédures d'identification des talents. Ceux-ci font l'objet d'une attention particulière. Entretiens de gestion de carrière fréquents, parcours de formation privilégiés souvent associés à une grande école ou à une université prestigieuse, coaching, learning expeditions, l'entreprise investit. Parfois même des sommes considérables, mais pour quoi faire ? Certes, ils seront ouverts aux évolutions du monde et au fait des dernières tendances tant stratégiques que managériales. Tout cela n'est évidemment pas inutile, mais est-ce déterminant ? Clairement non. Au moment de les nommer à un poste, trois éléments seront cruciaux.

D'abord, leur parcours avec leurs différentes fonctions et comment ils y ont réussi et plus encore comment ils ont fait face à des échecs ou à des difficultés. Ensuite, leurs compétences techniques. Enfin, leurs comportements. C'est évidemment sur ce dernier point que les talents sont le moins alertés. Pourtant, comme ils sont par hypothèse intelligents et qu'ils apprennent vite, c'est presque toujours grâce à leurs comportements qu'ils réussissent (ou qu'ils échouent). Car les nominations in fine se font toujours sur ces critères.

Développer les talents, c'est avant tout les aider à comprendre l'importance de ce critère comportemental. La question n'est pas comment ils sont mais quelle perception ils donnent. L'un, très intelligent, sans aspérité, toujours dans le bon ton, a la réputation de ne pas être courageux. Un autre, énergique et très efficace donne l'impression d'être entièrement tourné sur lui-même. Chacun va, dans son parcours, se trouver plus ou moins en décalage entre ce qu'il pense être et montrer de lui et ce qui est perçu par les autres. Un talent est avant tout quelqu'un qui, ayant compris cela, est capable d'abord d'obtenir en permanence du feedback de son entourage et, bien sûr, d'en tenir compte pour faire évoluer ses comportements.

Gâcher un talent, c'est lui laisser croire qu'il a été sélectionné pour ses résultats et réussira principalement par ses résultats, tout en le survalorisant et en lui donnant accès à des avantages que les autres n'ont pas. Le développer, c'est lui donner les moyens de la lucidité sur lui-même et lui transmettre l'envie de se remettre en cause en permanence pour faire évoluer ses comportements.