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Trop sûr de soi - Eric Albert - Les Echos

Je n'ai pas le temps de répéter ! ». Une pointe d'agacement est perceptible dans le ton du dirigeant auquel il a été suggéré de s'entraîner avant de prendre la parole. « Et puis, franchement, j'ai déjà fait ça des dizaines de fois. » C'est vrai, pensent ses équipes, ce dirigeant est bon dans ses prises de parole. Pour autant, la situation est un peu différente, ce n'est pas son auditoire habituel. Et cette fois-ci, sa performance est bien en deçà : discours qui tombe à plat, auditoire déçu et un effet produit presque contre-productif.

L'excès de confiance est fréquent chez les dirigeants. Ayant, par définition, mieux réussi que leurs congénères, ils acquièrent des habiletés qui leur donnent une grande aisance en toute situation. Enfin, presque toutes les situations. Car à force d'avoir le sentiment de maîtriser, ils vivent sur leurs acquis. Comme cela suffit le plus souvent, ils se confortent volontiers et continuent à faire la même chose. S'y ajoute l'effet des courtisans, qui multiplient les compliments pour se faire bien voir et gonflent leur ego, s'il en était besoin. Enfin, leur habitude de prendre une posture d'autorité ajoute encore à la tendance à ne pas se remettre en cause. Certes, la pression qui pèse sur eux est très forte. Et dès que la performance de l'entreprise baisse, ils peuvent vite se trouver sur la sellette. Avec le risque d'être débarqués du jour au lendemain… Et précisément, cela peut se faire brutalement d'un seul coup. Sans que, la plupart du temps, le dirigeant ait été alerté sur ses propres zones de progrès attendus. Sa performance étant assimilée à celle de l'entreprise ou de l'entité qu'il dirige, il est, par définition, bon lorsque ça marche bien.

Si tout pousse le dirigeant à se montrer sûr de lui, c'est aussi ce que l'on attend de lui. En effet, en tant que boss, il ne doit pas trop partager ses doutes, il lui faut tenir le cap et rassurer par sa capacité à affirmer des certitudes. A force d'être dans ce rôle, il se piège lui-même dans une posture de surpuissance. Sa seule façon de l'éviter est qu'au-delà de l'apparence de confiance en soi, il cultive le doute. Pour l'y aider, il a besoin d'avoir autour de lui des observateurs de confiance dont il accepte le regard critique. Ceux-ci doivent être dans une position qui exclut toute forme de rivalité. Ce qui leur permet de dire ce qu'ils pensent et régulièrement challenger le boss.

Et après ?

Car, plus que tout autre, le boss est celui qui doit cultiver sa capacité d'adaptation. Le doute y contribue en le poussant à s'interroger sur la limite de la répétition. D'autant que le prétexte de son agenda hyperrempli est un paravent qui l'abrite de la remise en cause : il n'a pas le temps. Un dirigeant qui n'a pas le temps de sa propre remise en cause s'enferme dans ses certitudes et perd progressivement ses capacités d'adaptation. Etre trop sûr de soi oriente vers le passé plutôt que vers l'avenir.