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Savoir ce que l'on incarne - Eric Albert - Les Echos

Alain Juppé, dans un message un peu raide, justifiait son renoncement par le fait de ne pas incarner le souhait des électeurs de voir un renouvellement des politiques. Saluons cette rare lucidité chez un dirigeant, qui plus est, politique. A quelques jours d'intervalle, un autre dirigeant a pris conscience qu'il devrait un peu mieux incarner son rôle. C'est Travis Kalanick, fondateur d'Uber, filmé à son insu dans une voiture de sa compagnie. Son échange avec le chauffeur a tellement choqué les réseaux sociaux qu'il a dû faire des excuses publiques.

Chacun de nous incarnons, pour ceux qui nous entourent, une fonction ou un rôle. Il est clair que plus on est en haut de l'échelle hiérarchique, plus cette incarnation a une portée symbolique. La première question est de savoir ce que l'on souhaite incarner. Souvent la réponse à cette question réside dans les valeurs. Certes, mais lesquelles et comment le faire ? Qu'est-ce que cela signifie d'incarner le respect, la confiance ou l'innovation ? Rares sont ceux qui font l'effort d'y réfléchir. Incarner, c'est ce que l'on montre au-delà de ce que l'on dit. Face à leurs dirigeants, les équipes interprètent. Elles guettent chaque signe, chaque comportement. Elles les ressentent avant même d'en parler, puis les commentent, échangent leurs perceptions et en amplifient la portée. Car le comportement des dirigeants provoque avant tout des émotions. Cette résonance intérieure est donc parfois bien différente d'un observateur à l'autre, voire opposée. Ce qui domine c'est une impression générale, qui résulte de la somme d'observations accumulées au cours du temps.

Incarner, c'est assumer une forme d'exemplarité. C'est prendre la mesure des devoirs assortis à la fonction avec leadership. Cela suppose donc que le dirigeant prenne le temps de définir les deux ou trois registres qu'il souhaite incarner auprès de ses équipes et vis-à-vis de l'extérieur. Puis de s'interroger sur comment le faire. En cela, il est évident que l'on ne peut incarner que ce qui correspond à sa personnalité. Par exemple, incarner la bienveillance n'est pas à la portée de tous. Elle nécessite une attention aux autres, une ouverture, une écoute et un respect de ce qu'ils sont. Or certains dirigeants, dans un souci de rapidité, prennent peu en compte les autres dans leur façon de passer les messages. Sans intention malveillante, ils ne peuvent pour autant incarner la bienveillance. Car l'incarnation repose sur la cohérence et la durée.

Et après ?

Tout ce que l'on montre doit faire sens par rapport au registre choisi et c'est la somme des petits signes qui forge ce que les autres pensent. En appui de ce que l'on fait, il est toujours utile de l'expliquer et d'en donner le sens. Car un comportement prend une autre dimension si l'intention de celui qui l'adopte est explicite. Personne ne peut être exemplaire en tout. Choisir les domaines où l'on souhaite l'être donne de l'ampleur et de la puissance à son leadership. C'est aussi reconnaître ses points d'amélioration, ce qui est une autre forme d'exemplarité.