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Persévérance ou entêtement - Eric Albert - Les Echos

François Fillon ira-t-il jusqu'à l'élection présidentielle ? S'il se maintient, l'histoire dira s'il a eu raison, envers et contre une grande partie de son propre camp, de poursuivre son parcours. Elu, tout le monde saluera sa persévérance. Battu, on blâmera son entêtement. On commentera son enfermement dans sa tour d'ivoire, son jeu solitaire et son incapacité à écouter son entourage.

Récemment, un dirigeant me racontait qu'encore jeune cadre, il avait assisté à une réunion où le boss avait pris une décision importante alors que l'ensemble de ses collaborateurs lui conseillait le contraire. « C'est là que j'ai vu ce qu'était un vrai patron, évidemment, il avait raison. » Le mythe du dirigeant, seul, visionnaire, plus intelligent que les autres et qui tient la barre pour mener le bateau est toujours très présent. En filigrane, se pose la question du mode d'exercice du pouvoir mais aussi de l'effet du pouvoir sur la psychologie des acteurs. La tendance est au collectif. Nul besoin de démontrer la supériorité de l'intelligence collective sur l'individu isolé. Le croisement des points de vue, la diversité des regards permettent de mieux comprendre une situation et d'être plus créatif dans le choix du plan d'action. Certains pourront redouter le temps pris par l'échange et le risque du consensus mou. Ce sont, de fait, deux risques auxquels il faut être particulièrement vigilant. Pour autant, la complexité du monde et des problèmes à traiter par les dirigeants supposent plus que jamais de les aborder en collégialité. Mais notre monde en crise est en recherche de solutions simples et d'hommes providentiels. Le dirigeant collégial a vite fait d'être considéré comme manquant des caractéristiques qui font l'essence d'un chef. Comme si détermination, courage, persévérance étaient nécessairement associés à l'individu solitaire et dominateur. L'expérience montre que c'est une grossière erreur. Les individus qui se montrent autoritaires masquent presque toujours des fragilités derrière leurs coups de menton. En s'isolant, ils s'enferment dans un mécanisme qui tend à s'autoconvaincre de la pertinence de leurs opinions. Comment écouter, débattre, prendre les avis sans se laisser piéger par le consensus mou ? Comment suivre avec détermination le chemin pour faire progresser l'entreprise alors que de toutes parts les voix se lèvent pour plaider la pause. La référence aux repères stratégiques sur le fond et aux valeurs sur la forme aide à revenir à l'essentiel. Mais c'est surtout la pratique du questionnement qui permet de se construire une opinion personnelle en utilisant le collectif - questionnement d'abord de ses propres convictions pour mesurer leur effet sur les autres. En poussant toujours plus loin les questions, émerge progressivement une compréhension des déterminants des positions des uns et des autres.

Et après ?

Reste ensuite à assumer la prise de risque et à ne pas lâcher sur les sujets essentiels, même si l'ensemble du corps social exprime de la réticence. Car c'est là où la persévérance du dirigeant est essentielle, lorsqu'il s'agit de bouleverser les habitudes et de faire sortir les équipes de leur zone de confort. La persévérance et l'entêtement reposent sur la détermination. Mais la première vise l'intérêt collectif, lorsque le second répond à l'ego.