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Les mutations du pouvoir - Eric Albert - lesechos.fr

Le pouvoir discrétionnaire fait de moins en moins sens dans les organisations actuelles. L'exercice du pouvoir d'influence est beaucoup plus efficace. Et beaucoup plus exigeant.

Rien n'est plus fascinant et enivrant que le pouvoir. L'histoire humaine en regorge d'illustrations. Aujourd'hui encore, regardons se comporter certains fondateurs de licornes, comme ceux d'Uber ou de WeWork, et constatons que rien n'a changé. Mis en situation de pouvoir, ils se mettent en danger à se considérer supérieurs, ce qui justifie, à leurs yeux, l'usage excessif de ce pouvoir.

La satisfaction vient de cette disposition à imposer à l'autre son bon vouloir, quelles que soient les éventuelles oppositions. Ne nous trompons pas, les dirigeants ne sont pas seuls à jouir de pouvoir. Chacun, à son niveau, bénéficie d'une parcelle de pouvoir et trouve une certaine gratification à l'utiliser.

 

Aligner les acteurs  

Or, quel que soit son niveau hiérarchique, ce pouvoir discrétionnaire fait de moins en moins sens dans les organisations actuelles. En effet, les modèles vers lesquels tendent les entreprises visent à faire en sorte que les acteurs combinent leurs compétences et trouvent des solutions avec leurs apports respectifs. Autrement dit, nous sommes en train de passer du «  pouvoir d'imposer » au « pouvoir d'influencer ». Et, dans ces nouveaux modèles, à chaque fois qu'un acteur impose, c'est qu'il n'a pas pu convaincre. Il utilise le confort que lui donne sa position pour combler les défaillances de son influence.

La mutation du pouvoir est particulièrement marquée dans les organisations matricielles. Ces dernières sont caractérisées par l'interdépendance des acteurs _ qui gardent une responsabilité sur le résultat. Bien souvent, cela déconcerte managers et collaborateurs qui sont beaucoup plus à l'aise dans la relation hiérarchique classique que dans les interfaces horizontales. Il s'agit moins de donner des ordres que d'aligner des acteurs qui n'ont pas exactement les mêmes intérêts. Chacun d'entre eux a d'ailleurs sa propre part d'autorité de compétence. Certes, il arrive un moment où celui qui est en posture de trancher peut imposer son point de vue. Mais lorsque l'on en arrive à ce stade, c'est en général pour deux raisons. La première est qu'il n'y a pas eu suffisamment d'échanges, des phases pendant lesquelles chacun comprend la position et les contraintes de l'autre et cherche la meilleure solution par rapport au but commun. La seconde est que l'un ou plusieurs acteurs ont des comportements inadaptés et que personne n'a su leur en faire prendre conscience pour les pousser à changer.

Le pouvoir d'influence est beaucoup plus exigeant que le pouvoir d'imposer, et beaucoup plus efficace. Les dirigeants, pour la plupart, le savent. Résister à la facilité, la rapidité et la gratification de donner des ordres, est un effort sur soi permanent.