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L'agilité sans risque ? - Eric Albert - lesechos.fr

C'est l'un des nombreux paradoxes de la situation dans laquelle on se trouve. Alors que l'agilité est plus indispensable que jamais, on nous demande, dans le même temps, de veiller avant tout à ne pas prendre de risques.

Tous les messages que nous recevons nous encouragent à ne pas prendre de risque et à ne pas en faire courir aux autres. Un double message qui vise à conduire les individus à adopter une attitude avant tout sécuritaire pour eux-mêmes et potentiellement culpabilisante dans leur relation à leur entourage. On pourrait le résumer ainsi : celui qui prend des risques sur le Covid est irresponsable et dangereux pour la société et ses proches. Peut-être est-ce le bon message dans notre contexte de pandémie. Mais quels en sont les effets sur les esprits et les comportements ? D'autant qu'il s'inscrit dans une période où la surenchère du discours politique porte sur la sécurité, dans le pays qui a mis le principe de précaution dans sa constitution.

Pas d'apprentissage sans échecs

Quel serait le risque d'une société particulièrement rétive au risque ? Ne pas prendre de risque consiste principalement à demeurer dans le connu et à multiplier les moyens de contrôle. En somme, on reproduit ce que l'on sait faire avec des procédures normées. Le but principal est d'éviter tout ce qui sort du cadre fixé, de façon à ne pas s'exposer au danger de l'échec. Autrement dit, on ne change pas, on n'apprend pas. Car il n'y a pas d'apprentissage sans échecs. Pas non plus d'innovations qui reposent sur une longue succession d'essais/erreurs.

C'est l'un des nombreux paradoxes de la situation dans laquelle on se trouve. Alors que l'agilité est plus indispensable que jamais, on nous demande, dans le même temps, de veiller avant tout à ne pas prendre de risques. Certes, le message sur le risque ne concerne que la santé. Mais il créé une ambiance générale, il porte une symbolique collective et il impacte les comportements. Cette ambiance est marquée par la protection plutôt que par la conquête, par la préservation plutôt que par l'expansion, par le repli plutôt que par l'ouverture, par l'obéissance plutôt que par l'autonomie. Progressivement, elle crée une culture commune qu'il va être difficile de faire changer. Ceux qui obéissent attendent que tout vienne de ceux qui leur donne des ordres.

Gérer des symboles

Au même moment, les dirigeants regrettent le manque d'audace de leurs collaborateurs. Ils voudraient voir plus d'initiatives émerger. Ils attendent que les acteurs aient de nouvelles idées et se montrent créatifs et responsables. La responsabilité passe par la responsabilisation. Rendre responsable c'est laisser le choix et apprendre à assumer les conséquences du choix.

Nous connaissons mieux maintenant cette pandémie qui a un taux de mortalité très faible et qui concerne quasiment que les personnes à risque. Il est temps d'intégrer la dimension symbolique dans le message qui est passé. Il faut cesser d'infantiliser et de déresponsabiliser les acteurs. Nous sommes à un moment, où certes la question de la santé est importante mais où l'état d'esprit, la culture, l'envie d'avancer l'est tout autant. Diriger, c'est gérer des symboles. Ceux qu'il faut donner maintenant doivent favoriser l'élan et du souffle.