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La palabre pour doper le collectif de travail - Eric Albert - lesechos.fr

C'est lorsque nous ne sommes pas d'accord que les choses deviennent intéressantes. Mais avant de se rapprocher, il faut prendre conscience que l'on est éloigné. Le temps de la palabre est indispensable pour que les points de vue s'écoutent, s'échangent, s'enrichissent.

Tout le monde constate à quel point les clivages traversent notre société et la fragmente. Les acteurs sont de plus en plus repliés sur leurs convictions et s'y enferment en faisant en sorte de n'être plus que nourri par ce qui les renforce. On s'écoute de moins de moins, on affirme. On ne cherche pas à comprendre l'autre dans ses différences, on le catégorise. Les plateformes sont à juste titre mises en cause dans ce phénomène, car elles encouragent à tourner en circuit fermé autour de ses propres opinions.

Dans l'entreprise pas question de laisser les salariés tourner en rond sur eux-mêmes. Tout simplement parce que c'est par la confrontation des points de vue que l'on s'approche de la réalité et que l'on développe de nouvelles idées. Encore faut-il avoir le temps pour cela et le cadre qui le permette. Le travail à distance qui conduit à avoir des échanges directs sur des points concrets ne favorise pas l'expression des perceptions et des nuances. Qu'importe ce que chacun pense, on s'aligne sur ce qu'il faut faire, puis chacun produit face à son ordinateur. Beaucoup se sont réjouis de n'avoir plus à assister à des réunions (ou de se contenter de faire semblant par la connexion à distance). On agit, mais est-ce qu'on s'ajuste ?

Travail de rapprochement ou arbitrage

S'ajuster les uns aux autres suppose de prendre le temps de comprendre la logique de fonctionnement de ses interlocuteurs. Autrement dit pas seulement ce que l'on fait mais quel diagnostic on porte sur telle ou telle situation. Qu'est-ce qui parait le plus efficace pour faire face à un problème, quel comportement adopter sur un sujet délicat ? On s'écoute sans nécessairement produire un plan d'action immédiat mais l'échange permet un ajustement des uns aux autres. Cette forme de palabre nous confronte aux autres dans leurs différences. Donc, elle nous ouvre et nous développe.

C'est lorsque nous ne sommes pas d'accord que les choses deviennent intéressantes. Reste ensuite à faire le travail de rapprochement ou parfois d'arbitrage sur une position commune. Mais avant de se rapprocher, il faut prendre conscience que l'on est éloigné. N'être que centré sur l'action ne nous le permet pas.

Le temps de la palabre est indispensable. Il faut l'organiser, non pas pour qu'il soit productif au sens classique du terme mais pour que les points de vue s'écoutent, s'échangent, s'enrichissent. Cet ajustement des acteurs les uns aux autres permet de développer le sentiment d'appartenance. C'est ce que nos démocraties sont en train de perdre.