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De l'art délicat de jouer la complémentarité - Eric Albert - lesechos.fr

Créer les conditions de l'intelligence collective avec des équipes multigénérationnelles ne va pas de soi. Mais c'est évidemment un enjeu majeur.

Jamais la question du management multigénérationnel n'a été autant d'actualité. D'un côté, un monde qui bouge tellement vite qu'il paraît logique de faire appel à la génération qui monte pour des postes de responsabilité. De l'autre, l'allongement de la durée de vie au travail va rendre banal le travail après 65 ans. Ajoutons une particularité de notre époque qui n'est jamais arrivée dans l'histoire du travail : dans certains domaines, les jeunes sans expérience sont plus compétents que leurs aînés aux décennies de pratique.

Ce qui pourrait paraître un facteur de complexité devrait au contraire faciliter le jeu relationnel entre les générations. En effet, cette nouvelle répartition des compétences crée une complémentarité qui équilibre les échanges. La nouvelle génération est la mieux à même d'adapter l'environnement professionnel aux évolutions sociétales qu'elle vit et encourage. Elle pousse à la créativité, au changement, elle remet en cause les fonctionnements antérieurs. Face à elle, les acteurs plus matures ont développé une compétence dans  les aptitudes comportementales ou soft skills . Ils ont appris à décoder les individus et leur jeu relationnel. Cela ne leur est pas seulement utile en management mais aussi en négociation ou en structuration des organisations. Sur la stratégie, l'expérience est utile mais elle peut aussi enfermer la vision du futur à partir du passé. C'est un domaine où la complémentarité des générations pourrait être mise à profit pour aboutir à… l'expérience enrichie du souffle du futur. Mais pour que la complémentarité fonctionne, il est nécessaire que chacun reconnaisse à l'autre des compétences que lui-même n'a pas.

Souplesse adaptative et rémunérations

 

Il reste deux sujets essentiels pour que les générations interagissent de façon constructive. La première est que le parcours des managers leur permette d'entretenir leur souplesse adaptative . Autrement dit, qu'ils ne vieillissent pas trop vite. C'est-à-dire qu'ils gardent leur capacité à changer d'avis et de comportement. Car si l'expérience doit se traduire par des certitudes et de la rigidité, elle pourrait ne pas avoir une grande utilité. L'autre enjeu est la rémunération. Il devient de plus en plus intolérable pour les acteurs dans la force de l'âge qui se donnent à plein pour leur travail, de constater que leurs anciens qui ne sont plus au même rythme sont beaucoup mieux payés. Nos organisations seront de moins en moins hiérarchisées et il sera donc moins acceptable que l'ancienneté et le grade justifient des écarts de rémunération. Ces écarts devront refléter le niveau de contribution. A l'évidence, la courbe de la rémunération va devoir passer de la droite ascendante à la cloche.

Créer les conditions de l'intelligence collective avec des équipes multigénérationnelles ne va pas de soi. C'est évidemment un enjeu majeur. Cela suppose de poser les bases d'une culture qui aide les acteurs à sortir de leurs stéréotypes et à accepter une remise en cause. C'est la toute première étape de la diversité. Elle ne fonctionne que si chacun est persuadé que les points de vue différents du sien sont, par essence, intéressants, qu'il se met en condition de les écouter et d'en tenir compte. Ecouter et considérer que les avis divergents enrichissent est d'autant plus difficile que c'est à contre-courant de ce que l'on constate de l'évolution sociétale.