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Avoir mauvais esprit - Eric Albert - Les Echos

L'état d'esprit dans une entreprise relève de la responsabilité collective. Pour l'améliorer, lutter contre le « fear factor », qui conduit les acteurs à ne dire ce qu'ils pensent que de façon détournée, s'impose.

Qui a dit ça ? ! Le dirigeant est furieux, prêt à sanctionner celui qui aurait tenu des propos qu'il considère comme la quintessence du mauvais esprit. Dans sa grande sagesse, le DRH qui rapportait les propos en question a refusé de donner le nom de leur auteur. S'il évite ainsi que les foudres du boss s'abattent sur l'un de ses collaborateurs sans connaître le contexte exact dans lequel il s'était exprimé, la question reste entière. Il n'est pas simple de définir ce qu'est le mauvais esprit.

Si l'on s'y risquait, on dirait que c'est une attitude générale qui consiste à interpréter les événements ou les propos qui concernent l'entreprise et ses acteurs sous l'angle de la méfiance, du doute, voire de la dérision. Et avec un certain cynisme, c'est aussi de diffuser autour de soi cet esprit qui conduit à garder une distance critique vis-à-vis de toute nouvelle initiative. L'esprit critique est utile et il faut l'encourager. La discussion de fond aussi bien sûr, mais ce n'est pas la forme que choisissent ceux qui pratiquent le mauvais esprit. Ils s'expriment de façon insidieuse : un trait d'humour, une petite réflexion, l'air de rien, un commentaire, un questionnement… Les modalités varient, mais elles ont en commun de ne jamais se faire devant les dirigeants. Autrement dit, le trouble est semé sans qu'il ne puisse être désamorcé, car il repose sur des insinuations, des rumeurs. Ceux qui pratiquent ce mauvais esprit n'ont d'ailleurs pas nécessairement une intention ouverte de nuire ou de s'opposer. Ils adoptent parfois juste une posture destinée à les protéger contre des évolutions de l'entreprise sans vouloir le faire de façon frontale. Ils recherchent aussi des soutiens dans une forme de résistance passive. Et dès lors que cette dernière est partagée, elle paraît justifiée.

 

Et après ?

Comment faire face à ce sujet qui touche toutes les entreprises ? D'abord en luttant en permanence contre le « fear factor » qui conduit les acteurs à ne dire ce qu'ils pensent que de façon détournée. Pour cela, le mode de réaction des dirigeants lorsqu'on leur apporte la contradiction ou lorsqu'on émet une opinion qui va à l'encontre de la leur, est fondamental. S'ils montrent de l'agacement voire de l'agressivité, il est fort probable que plus personne ne s'exprimera. De plus, il est nécessaire d'avoir des lieux d'échanges, de recul et de débats, ouverts à tous, sur les sujets qui portent à controverse. Reste que certains salariés aux personnalités autocentrées s'épanouissent dans cette posture d'opposition passive. Or pour que chacun comprenne que cette attitude est toxique, encore faut-il la expliquer en quoi elle nuit. Puis, démontrer que, soit les questions posées sont légitimes et il doit y avoir un lieu pour qu'elles s'expriment, soit c'est de la rumeur et le rôle de chacun est de s'y opposer. L'état d'esprit dans une entreprise relève de la responsabilité collective. Aux dirigeants de créer les conditions de cette dynamique collective.