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Peace and Love - Eric Albert - Les Echos

En quoi l’esprit de Mai 68 a-t-il imprégné le management ? Encore faudrait-il se mettre d’accord sur le contenu de cet état d’esprit, sujet qui ouvre à la controverse entre les différents exégètes de ce mouvement.

Admettons que c’est d’abord une volonté de rupture avec le passé qui émerge. Pas question pour la jeunesse de cette époque de reproduire le modèle de ses parents (même si in fine la plupart s’y sont ralliés en vieillissant). C’est ensuite une contestation forte de l’autorité. Le général de Gaulle, qui en est le symbole, focalise sur sa personne le rejet. Au-delà de l’autorité, c’est un refus global, général, des contraintes et de la norme (« Il est interdit d’interdire »).

C’est enfin un mouvement du « Peace and Love » qui prône une relation fraternelle et égalitaire plutôt que la confrontation et la rivalité et qui se revendique de grandes causes humanitaires. Ces inspirations conduiront à vouloir tenter des formes d’organisation basées sur l’autogestion tant dans les usines que dans les communautés de retour à la terre sur le plateau du Larzac ou ailleurs. Mais aussi, un fond de refus de la société de consommation. Cinquante ans plus tard, beaucoup des lignes de force de ce qui a inspiré Mai 68 sont présentes dans la vie de l’entreprise. Aujourd’hui le mot à la mode est « disruption ». Mais il s’agit bien pour la jeunesse d’aujourd’hui de rompre avec les modèles du passé : nouvelle façon de travailler, invention de business models différents. Ces ruptures prennent une autre forme qui se fait souvent de l’intérieur et sont, par là même, plus durables. Dans le domaine du management les tendances actuelles vont toutes vers plus d’horizontalité. L’autorité vient avant tout de la compétence et l’exercice du pouvoir se fait, de plus en plus, sous forme collective. Cette horizontalité exprime aussi toutes les tentatives d’organisation du travail autoportées. Chacun est responsable, participe, apporte de la valeur sans avoir besoin d’un chef qui lui dise ce qu’il a à faire. Le réseau est une forme d’expression de ce refus de la verticalité. Les individus se connectent entre eux en fonction de leurs envies.

A propos d’envies, la recherche de motivation intrinsèque, c’est-à-dire faire les choses parce qu’on en a envie plus que pour la récompense que l’on pourrait obtenir, résonne avec une quête de satisfaction et de bien-être au travail. Enfin, la nécessité de trouver du sens dans son travail s’inscrit dans ce besoin d’être utile au-delà des stricts enjeux économiques et de mettre en œuvre une dimension altruiste.

ET APRÈS ?

Ainsi, par bien des aspects, les tendances du management actuel peuvent trouver des échos aux revendications de Mai 68. En revanche, le rapport à la norme n’a pas suivi la même direction. Aujourd’hui, la norme, le cadre de ce qui doit se faire est beaucoup plus présent et accepté qu’en 68, où le vent de liberté conduisait à casser tous les codes. Ainsi les soixante-huitards n’ont pas appliqué dans le management ce qui avait inspiré leur mouvement mais ils en ont transmis beaucoup des principes à… leurs petits-enfants.