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Discuter, c'est produire - Eric Albert - Les Echos

L'épisode se passe dans le bureau du CEO. Depuis plusieurs semaines, les équipes de communication travaillent sur la grande convention de l'année. Elle réunira plusieurs centaines de managers, et doit donner une nouvelle impulsion. L'entreprise est en pleine mutation et il est indispensable que les acteurs comprennent l'importance des changements à mener et surtout qu'ils y adhèrent. Devant le programme proposé par l'équipe de communication, le patron s'agace : « Je veux qu'ils repartent avec des plans d'action concrets, je ne leur demande pas de passer des heures à parler, ils sont là pour agir. »

La conviction que « c'est dans l'action que l'entreprise puise son efficacité », bien ancrée dans la tête des managers, repose évidemment sur du vécu : c'est parce que la pression sur le temps est omniprésente, c'est parce que le calendrier pour « délivrer » est très serré que les choses avancent et que l'on reste dans la course face à la concurrence.

Progressivement, cela a induit des réflexes et une façon d'aborder les sujets avec une méthode qui donne la régularité d'une horlogerie suisse. Plus que tout, ce qui est redouté, c'est la palabre. Des heures à discuter sans que rien n'avance…

Et pourtant, c'est bien de palabre dont pourraient avoir besoin les cadres de cette entreprise en mutation. Car c'est en parlant que les acteurs trouvent le sens, s'approprient les enjeux, élaborent les solutions. C'est en échangeant entre eux qu'ils partagent leurs inquiétudes et arrivent à les dépasser. Il arrive pourtant que l'on fasse le plus mal ce que l'on fait naturellement depuis toujours. S'il est indispensable de passer du temps à échanger, il est vrai que, presque toujours, ce temps est peu productif. On se disperse dans des digressions, on ne s'écoute pas - ou on s'écoute mal, on ne vérifie pas que les interlocuteurs ont compris la même chose, on se laisse emporter par ses émotions, et on ne conclut pas l'échange pour en faire une base pour le suivant.

Pour que la discussion soit une production, cela suppose de lui appliquer le même professionnalisme appliqué à l'action. Pour commencer, il faut être clair sur le sujet précis de l'échange. Mais surtout, il faut vérifier qu'on ne le perd pas en chemin. Rien n'est plus facile, en effet, que de partir dans des considérations qui n'ont rien à voir avec le sujet de départ. Ensuite, les différents interlocuteurs ne sont pas toujours alignés sur l'utilité de l'échange - autrement dit le pourquoi. Pour beaucoup, cela vise avant tout à faire valoir leur point de vue et à convaincre leurs interlocuteurs. Dans le meilleur des cas, l'échange n'est qu'une succession de monologues, parfois de confrontations. Chacun s'exprime à son tour face à des interlocuteurs distraits par leur téléphone qui, eux-mêmes, ne s'animent que lorsque la parole leur revient.

Et après ?

L'échange est au coeur de la création de valeur. Mais parce qu'on le pratique depuis toujours, on considère qu'on en maîtrise les ressorts. Et pourtant, ce que l'on fait naturellement nécessite aussi de la méthode. C'est l'un des domaines où les dirigeants ont le plus besoin de progresser.