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La trahison (en entreprise), une invitation au questionnement - Eric Albert - Les Echos

La thématique est courante dans le milieu politique. En entreprise, en revanche, si l'on parle rarement de trahison, on la redoute. Beaucoup mettent en avant la loyauté comme une qualité cardinale requise pour recruter leurs collaborateurs. De quelle trahison ont-ils peur ?

L'histoire montre que certaines trahisons étaient, en fait, des élans de lucidité assorties du courage de l'action (par exemple Xavier Huillard qui se désolidarise d'Antoine Zacharias, son boss)… D'ailleurs, redouter la trahison n'est-ce pas la première étape pour la provoquer ?

Les vieux routards de l'exercice du pouvoir argumenteront que l'on n'est jamais assez paranoïaque. Et ils illustreront par de nombreux exemples de dirigeants célèbres et parano. De fait, on n'est l'objet de trahison que si on a (ou on se découvre) des ennemis. Et, par définition, les paranoïaques s'en imaginent beaucoup. Mais la loyauté recherchée est-elle destinée à la personne ou à l'entreprise ?

Le dirigeant qui cherche à remplacer un collaborateur qu'il considère comme inadapté à son poste est-il un traître ? D'autant que, même s'il lui a exprimé ses doutes, il a, en général, mené sa recherche sans prévenir l'intéressé. Si son jugement est bon, il sert l'entreprise et probablement aussi son collaborateur. Pour autant, ce dernier peut se considérer comme trahi, surtout s'il n'a reçu aucun message l'alertant sur ses défaillances. Son interprétation de l'épisode sera qu'il est victime d'un chef traître. Car finalement, se considérer comme trahi est aussi une façon de se protéger, d'éviter de se remettre en cause et de se centrer sur sa personne plus que sur l'organisation que l'on sert.

Nous sommes tous soumis au risque de trahison. D'abord en raison de la personnalité de celui qui pourrait trahir. Lui-même paranoïaque, voire dans une posture victimaire ou encore en rivalité permanente. La trahison n'est qu'un acte qui vise à apaiser ses propres conflits intérieurs. Rien à faire face à ce type de situation qu'à digérer sa déception liée à ce qui avait été projeté sur cette personne et a été contredit. L'autre cas de figure se présente lorsqu'on provoque la trahison par ses propres comportements. Principalement la méfiance et la rivalité. La méfiance, car elle suscite la réciprocité en miroir. Progressivement, la relation se dégrade dans une course en avant où la question est : qui trahira le premier ?

Et après ?

Dès lors, l'enjeu est de gagner sur l'autre. Et, pour cela, difficile de résister à la tentation de transgresser les règles si cela peut donner l'avantage. En somme, si être soumis à trahison provoque une blessure narcissique, c'est aussi une invitation au questionnement. Et c'est là où avoir un entourage en qui on a confiance aide. Il aide à démêler ce qui dépend de soi et ce qui n'en dépend pas.