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La fabrique de la lâcheté - Eric Albert - Les Echos

La démagogie ambiante est devenue contagieuse. Alors que, traditionnellement, elle se limitait aux extrêmes de l'échiquier politique, on la voit se diffuser partout. Et ça marche ! Plus elle est présente, plus elle semble faire gagner. Il est clair que cette approche est celle de la facilité. Les slogans remplacent les programmes, l'électeur est flatté et bercé dans l'illusion de solutions faciles. C'est, évidemment, l'option de la lâcheté plutôt que celle du courage.

Dans l'entreprise, soyons attentifs à ne pas aussi favoriser l'option de la lâcheté aux dépens du courage. Les occasions ne manquent pas, surtout dans les grandes organisations. Certains cadres dirigeants ont bien compris que la gestion de leur image passe au premier plan. Le système les y encourage parfois. En les poussant à se focaliser sur le court terme, ils ont tout intérêt à ne prendre aucun risque et à reproduire ce qui a marché l'année précédente, en améliorant à la marge et en repoussant la résolution des problèmes à plus tard.

Pour éviter les échecs, mieux vaut remiser toute audace et ne rien tenter de vraiment nouveau. Etre le pilote de changements validés par la hiérarchie permet de cultiver une image d'innovateur ; veiller à ce qu'une autre entité soit concernée permet de lui faire porter la responsabilité d'un éventuel dysfonctionnement…

L'organisation matricielle est un autre vecteur de la lâcheté managériale car elle favorise la dilution des responsabilités, tant sur le plan du management que sur celui des résultats. Chacun veille à se faire bien voir du plus grand nombre. Pour éviter de déplaire, mieux vaut se défausser de toute décision de nature à perturber qui que ce soit dont l'opinion compte. Surtout lorsqu'il s'agit de désaccord de fond entre des équipes. On entretient alors une convivialité apparente avec ses pairs en évitant soigneusement les sujets qui fâchent. Au risque de laisser les équipes se débrouiller avec une situation compliquée dans laquelle conflits d'intérêts et confrontations minent le quotidien.

Lorsque l'on est exposé à sa hiérarchie, on met la pression sur les équipes. A elles de faire, défaire, refaire les présentations. Pas sûr qu'elles n'aient d'autre valeur ajoutée que celle de permettre au chef de briller. Chef qui ne manquera pas de se plaindre des défaillances de ses équipes face à des tiers, sans jamais le leur dire en direct…

Et après ?

Le courage est une vigilance permanente. En prenant un peu de recul, chacun peut constater ses propres défaillances : un petit mensonge plutôt qu'une vérité qui aurait permis de progresser, une confrontation que l'on repousse, une défausse de responsabilités sur un tiers, etc. Le sujet n'est pas seulement moral ; il est directement lié à la contribution de chacun à l'intérêt commun. C'est pourquoi il doit non seulement être posé comme une condition pour accéder à un haut niveau de responsabilité, mais aussi être encouragé, testé et valorisé. La somme des courages individuels est la meilleure garantie de la performance durable d'une organisation.