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Jouer avec la limite - Eric Albert - Les Echos

Le feuilleton des moteurs truqués continue. Cette fois, c'est notre Renault national qui est incriminé et, plus grave, c'est toute la chaîne hiérarchique qui aurait contrôlé la fraude, pilotée par le PDG. Il est assez fréquent que l'entreprise soit incriminée par la justice. C'est même devenu un passage presque obligé pour les banques vis-à-vis de la justice américaine.  S'il s'avérait que le rapport de la répression des fraudes se révèle exact, il serait intéressant de savoir si les acteurs avaient le sentiment de jouer avec les règles ou d'avoir clairement fait le choix de l'illégalité.

Chaque dirigeant est confronté à la question de faire des choix à la limite de la légalité ou de sa réputation et du socialement acceptable. Faut-il que Lafarge participe à la construction du mur de Trump ? Rien d'illégal certes, mais quel effet sur son image dans la durée ? En échangeant sur ce thème avec un dirigeant, sa réaction première était de considérer qu'évidemment, l'entreprise ne pouvait pas se priver d'un tel marché. Puis, à la réflexion, la réponse était de moins en moins évidente (d'ailleurs Vinci a fait le choix inverse). Car ce type de situation est, par définition, complexe. D'un côté, les adversaires du risque se rangeront volontiers derrière une interprétation rigide de la règle. De l'autre, les audacieux seront toujours tentés de pousser un peu plus loin les feux du business. Certes, les grandes entreprises se sont dotées d'entités de la conformité censées donner la bonne réponse. Mais chacun sait bien que ce filet de sécurité ne retient qu'une partie de ces situations complexes. D'ailleurs, si le dirigeant veut se garder une marge de manoeuvre, il contourne la conformité réputée clore le sujet.

Jouer avec les règles est une compétence et une nécessité. Cela a même été théorisé par certaines start-up qui mettent en avant la nécessité de les transgresser pour les faire évoluer. Il s'agit en général des règles qui verrouillent la concurrence. On l'a vu dans le transport et l'hôtellerie. En dernier ressort, c'est la responsabilité du dirigeant qui mesure et prend le risque pour son entreprise. Car, face à la complexité, le dirigeant doit se garder de réagir trop vite. Porté par son émotion et son tempérament, sa décision n'en est pas une. Il est nécessaire dans un premier temps de consulter des points de vue différents. Attention à pousser chacun dans ses retranchements et à ne pas se contenter d'avis à l'emporte-pièce. Attention aussi à la tendance qui consiste à chercher les avis qui confortent les siens. C'est donc ceux qui sont en désaccord avec soi qui sont les plus intéressants.

Et après ?

La confrontation des points de vue éclaire mais ne fournit pas pour autant la décision qui suppose d'engager sa responsabilité. Une fois ce tour des avis fait, le dirigeant doit se forger sa conviction dans son for intérieur. Pour cela, il est nécessaire de s'arrêter, prendre du recul, et trouver des points de repère. C'est là où les entreprises qui se sont forgées des valeurs solides ont un avantage : une boussole.