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Irrationnalité - Eric Albert - Les Echos

L'enjeu des dirigeants est d'entraîner avec eux l'ensemble de son corps social, notamment par rapport aux grandes transformations que toutes les entreprises ont à réaliser. Mais partir de l'autre pour l'aider à faire un chemin qui le réintègre dans les enjeux et la dynamique de l'entreprise, n'entre pas dans les KPI ou indicateurs de performance du management.

Quelqu'un est-il capable de répéter les arguments rationnels susceptibles de défendre que le statut des cheminots permet de garantir la qualité du service public... ? Pourtant, la grève est bien là et la question du statut au coeur des revendications. La réaction première est de porter un jugement : « comment ces « rentiers » de l'avantage acquis peuvent-ils défendre l'indéfendable ? Ce n'est qu'une réaction corporatiste inacceptable ». 

Il ne faudrait donc pas tenir compte de leur position mais jouer du rapport de force à travers l'opinion publique. C'était évidemment l'un des buts du rapport Spinetta. Après avoir jugé la situation, le risque est de « s'enfermer » en refusant de chercher une autre grille de lecture que celle qui nourrit sa propre opinion. Comme la lecture rationnelle du sujet n'aboutit à rien, il semble vain de chercher à aller plus loin. Or, à l'évidence, le refus de la réforme est en grande partie émotionnel (chacun ne manque pas de remarquer que les acteurs en grève ne sont pas personnellement concernés par le changement à venir). Pour ne pas être démuni (donc maladroit) face à l'irrationnalité, la question est de savoir comment elle apparait. Puis, il faut trouver une façon d'y faire face. 

On peut raisonnablement faire l'hypothèse que la SNCF n'est pas la seule entreprise concernée par cette résistance émotionnelle au changement. Lorsqu'on déclenche une émotion chez l'autre, sans en avoir eu l'intention, c'est souvent que, d'une part, l'on ne le comprend pas suffisamment et que, d'autre part, l'on maîtrise mal l'effet que l'on produit. Comprendre suppose de mettre en place des occasions de dialogue permanent et régulier. Non pas pour chercher à convaincre d'emblée mais pour commencer à mesurer la position de l'autre. Plus elle est éloignée de la nôtre, plus c'est le symptôme d'une distance relationnelle. Certes il ne s'agit pas du dirigeant en direct avec l'ensemble des salariés mais des relais assurés par le management de proximité. Au lieu de s'enfermer dans des tâches de « production » comme le reporting, ce dernier doit en permanence échanger avec ses équipes. Car il est fondamental de ne pas s'enfermer dans des représentations décalées par rapport à la réalité et au futur de l'entreprise. 

Et après ? 

L'enjeu des dirigeants est d'entraîner avec eux l'ensemble de son corps social, notamment par rapport aux grandes transformations que toutes les entreprises ont à réaliser. Mais partir de l'autre pour l'aider à faire un chemin qui le réintègre dans les enjeux et la dynamique de l'entreprise, n'entre pas dans les KPI ou indicateurs de performance du management. A force de chercher des modèles d'efficacité, l'entreprise n'est conçue que comme un système qui délivre et non pas comme un système vivant et évolutif. Dès lors les blocages face à la nécessité de s'adapter lui coûtent très cher. Démonstration supplémentaire que l'efficacité à court terme ne peut être le seul objectif et le seul mode d'évaluation des managers. On dit que ce gouvernement gère le pays comme une entreprise, peut-être a-t-il encore quelques progrès à faire au plan managérial.