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En finir avec la motivation - Eric Albert - Les Echos

Je suis toujours surpris par cette focalisation des dirigeants sur la motivation de leurs collaborateurs. Ils ne la trouvent jamais suffisante et n'hésitent pas à envoyer leurs managers se former pour apprendre à « motiver ». Pis, certains les interpellent en leur enjoignant d'être plus motivés. Rappelons les deux formes de motivation.

La motivation intrinsèque est celle qui est en chacun de nous et qui donne envie de faire une chose du fait de la satisfaction que cela procure. La récompense est dans le plaisir qui pousse à agir. Elle trouve sa source dans la combinaison, d'une part, de l'autonomie, qui donne un sentiment de liberté, et, d'autre part, dans la perception de faire des choses utiles et pour lesquelles on obtient de la reconnaissance. Aussi, autre source de satisfaction : la qualité des relations entretenues.

L'autre forme de motivation, extrinsèque, résulte de l'attente d'une récompense (ou l'évitement d'une punition). L'action est entreprise pour obtenir valorisation, rémunération, sécurité, etc. Elle induit, avant tout, une rivalité entre les acteurs. Chacun se sentira reconnu en fonction de ce qu'il aura en plus par rapport aux autres. Cette motivation, qui repose sur la comparaison et la sélection, trouve ses bases dans une représentation de la valeur des individus, selon une courbe de Gauss qui fait émerger les meilleurs et fait éliminer les « mauvais ». Modèle dont Jack Welch s'était fait le chantre et que beaucoup d'entreprises ont reproduit. Adoptant le principe des quartiles, selon lesquels chaque manager devait classer et répartir ses collaborateurs en quatre catégories. Impossible donc d'avoir une équipe au sein de laquelle tous les membres étaient très performants, il fallait avoir des sous-performants. Etre reconnu supposait nécessairement prendre la place d'un autre, après avoir fait mieux.

Cette représentation uniformisée de la motivation, et de la performance qui en découle, oblige à entrer dans un modèle unique imposé. Elle a perdu beaucoup de sa pertinence dans les nouveaux modes d'organisation du travail. Pas vraiment étonnant que la grosse entreprise soit moins attractive pour les jeunes diplômés.

L'enjeu principal de la motivation est de ne pas décourager l'envie des acteurs. Il est donc au moins aussi important de s'interroger sur ce qu'il ne faut pas faire que sur ce qu'il faut faire. Partant du principe que le ressort est interne à chaque individu, l'essentiel est d'en comprendre le mécanisme. Mais surtout d'accepter qu'il ne soit pas le même chez chacun.

Et après ? 

Dès lors, la question n'est pas tant la motivation que de trouver comment s'appuyer sur les spécificités et les talents différents des uns et des autres. Puis, de les pousser à se mettre au service du collectif et d'organiser les interactions entre les acteurs en s'appuyant davantage sur leurs complémentarités plutôt que sur leur rivalité. Mais, pour cela, encore faut-il que ses propres ressorts ne soient pas le pouvoir et la domination mais le sens du service et l'efficacité collective. Plutôt que d'interpeller leurs équipes sur leur motivation, les dirigeants pourraient s'interroger sur ce qui nourrit la leur.